Le grand frère du petit garçon handicapé

Mes deux garçons sont scolarisés dans le même établissement scolaire. Bien que mon grand garçon attendait avec impatience l’arrivée de son frère dans son école, sa petite vie d’enfant ordinaire a changé. Voilà comment en à peine 2 ans il est passé de « Eliott » au « grand frère du petit garçon handicapé ».

— être grand frère —

Du jour où nous lui avons annoncé qu’un bébé était dans mon ventre et qu’il allait devenir grand frère, il a souhaité de tout son cœur que ce soit un garçon. Eliott était en CP quand Loucas est né. Tous ses copains, son amoureuse, son maître d’école savaient tout ce qu’il se passait à la maison : maman à l’hôpital, petit frère à l’hôpital, maman et papa 1 nuit sur 2… bref, 2020 fut une année compliquée.

Puis, janvier 2021, tout bascule quand nous apprenons la maladie génétique de notre petit bébé, le syndrome de Koolen de Vries. Il était impensable à cet instant de le dire à notre grand garçon. Il fallait déjà que son papa et moi digérions cette annonce. Nous l’avons finalement fait, 1 mois plus tard, pour qu’il ne l’apprenne pas de quelqu’un d’autre. Il a tellement pleuré mon garçon, il a cru pendant longtemps que cette maladie tuerait son frère.

— être SON grand frère —

Son papa et moi mettons tout en œuvre pour que la maladie et l’emploi du temps chargé de Loucas n’empiète pas sur la vie de notre plus grand. Malheureusement, nous sommes humains et ne sommes pas infaillibles… Souvent, à contre cœur, nous sommes épuisés. La fatigue mentale prend le dessus. Le travail, les allers/retours chez les spécialistes pour le suivi médical de notre petit garçon (soit 4-5 rdv par semaine), les questions qui tournent en boucle dans nos têtes, les progrès qui ne viennent pas assez vite à nos goûts… Bref, tout cela fait que par moment nous n’arrivons plus à trouver la force d’écouter toutes les anecdotes dont il veut nous faire part, tout ce qu’il se passe dans sa petite tête de grand garçon de 10 ans.

Etre le grand frère d’un petit garçon handicapé, c’est être quel grand frère ? Quand son petit frère, celui dont on a rêvé depuis des années, celui avec qui on se voyait faire les 400 coups et discuter pendant des heures, n’est pas celui auquel on s’attendait, comment fait-on pour être son modèle ? Et finalement, quel modèle doit on être ? Etre trop sérieux ? Etre drôle ? Jouer mais ne pas se faire mal ? Courir mais pas trop pour ne pas l’essouffler et amplifier sa fatigue ? Rire à table mais pas quand il mâche pour éviter les fausses routes ? Danser avec lui mais ne pas se jeter au sol pour qu’il ne fasse pas pareil ? Quel grand frère doit-on être pour assurer la sécurité physique du petit frère et la santé mentale de papa et maman ?

Je pense, en toute honnêteté, qu’Eliott connait sa place à l’école, mais pas à la maison. Nous sommes un peu maladroits de lui en vouloir quand il ne jette pas un œil sur son frère dans la cours de récréation, quand il ne veille pas sur lui à la garderie et qu’il ne sait pas nous dire pourquoi sa compote n’est mangée qu’à moitié ou si son AESH lui a lu un livre. Nous sommes idiots de lui mettre toute cette pression ! Nous lui en demandons tellement. Loucas ayant tellement de difficultés et retards, malgré ses progrès, et Eliott ayant autant de capacités, il est difficile pour nous qu’il nous montre des faiblesses. Et pourtant, il n’a que 10 ans. A 10 ans, nous faisions quoi nous ? Eliott, lui, doit subir les rendez-vous médicaux, les crises émotionnelles de son frère, maman qui pleure d’épuisement, les « aide-nous stp on est fatigués », et les disputes de parents.

J’ai tellement honte d’écrire tout cela, honte de lui faire vivre cet enfer.

— être quelqu’un —

A l’école, Eliott est passé de « c’est Eliott » à « c’est le grand frère de Loucas ». Peut-être qu’il n’y fait pas attention, mais moi je le prends de plein fouet tous les jours. Il est passé du grand garçon dont on prenait toujours des nouvelles à « comment va Loucas ? Comment ça va vous ? Et j’imagine que Eliott ça roule ? ».

Alors non, Eliott ça ne roule pas. Eliott a des milliers de choses à raconter. Il s’est mis un peu au dessin et c’est juste magnifique, il y met tellement d’émotions. Il est pourtant persuadé de ne pas y arriver et se demande comment arriver à mon niveau, mais il ne se rend pas compte qu’il dessine avec le cœur. Il vient de terminer de lire Dragon Ball tome 7, nous ne l’avons jamais autant entendu rire que depuis qu’il s’est jeté dans ces manga. Je ne suis pas hyper fan, mais papa laisse couler, il a 10 ans. A Noël il commandera 2 jeux vidéos au maximum et certainement Minecraft car il veut faire comme son papa et construire des mondes. Il a terminé de lire son 3e livre rallye lecture de l’école, mais a du mal avec les tables de multiplications. Combien font 4 x 9 ? Eliott a reçu la paire de basket dont il rêvait, elles son grises et vertes et elles courent vite, mais il faut faire les lacets et c’est une perte de temps. Il rêve de jouer au Cluedo avec nous, mais nous lui répondons systématiquement que c’est long… Bon promis ce soir on y joue ! Au centre aéré il va chez les pré-ado (c’est dur à dire et encore plus compliqué de le figer par écrit). Je crois qu’il s’y sent bien car là-bas, il est lui et seulement lui. Je lui ai posé la question s’il y avait parlé de son frère, il me dit que non. J’ai compris pourquoi il y est si bien. Ça ne l’empêche pas d’avoir hâte de donner le goûter à son frère chez les petits.

— il est lui —

Nous sommes tellement fiers de lui. Eliott est là, pour son frère, pour moi, pour nous. Il n’est qu’amour. Il parle beaucoup trop, il ne nous lâche jamais, il déteste être seul, il s’ennuie vite, trop vite… Il n’a pas choisi cette vie, celle qui a été chamboulée quand en 2020 il est devenu « le grand frère du petit garçon handicapé ».

** A bientôt, Charlie **

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